Voilà les polyptyques polyédriques : un nouvel espace sur lequel composer des peintures qui interagissent avec les faces et les arêtes.
Si les polyèdres en tant qu'objets mathématiques sont parfaits par définition, leur réalisation concrète est nécessairement imparfaite, et offre des occasions de variations dans les alignements et montages des faces, un peu de guingois, dégingandés, ou dans les surfaces peintes, lisses, striées ou en pâte et matière. Leur réalisation est modeste, simplement avec des toiles du marché : ces assemblages peuvent être réalisés par tout un chacun, et adoptés par tous les peintres pour leurs compositions personnelles. Le vertige de la page, ou toile, blanche devient multidimensionnel.
Certains de ces polyptyques sont figuratifs, et montrent des exemples dans différents genres classiques de la peinture : paysage, portrait, architecture, nu, vanité. D'autres sont abstraits, non-objectifs, et jouent avec les volumes et les couleurs primaires. Certains sont ajourés et laissent ouvertes une partie de leurs faces.
Certains jouent aussi
avec diverses contraintes,
par exemple celles proposées par l'OuPeinPo
(Ouvroir de Peinture Potentielle).
Comme le rappelle le livre de référence sur l'OuPeinPo (p. 8, "Du potentiel dans l'art", Editions du Seuil, Février 2005), l'invention du polyptyque peut être vue comme OuPeinPienne par anticipation, même si elle n'est pas perçue comme une contrainte très "féconde" ;
on en explore ici nonobstant quelques facettes.
Une contrainte classique appliquée est
la couleur mesurée (même quantité de chacune des couleurs utilisées),
usuellement interprétée en surface ou en nombre de faces,
et dans l'"antiprisme carré", plus originalement, en hauteur.
Une autre est
l'illustration du théorème des quatre couleurs
(qui suffisent pour que deux faces voisines n'aient jamais la même).
Achras --- O mais c'est que, voyez-vous bien, je n'ai point sujet d'être mécontent de mes polyèdres, ils font des petits toutes les six semaines, c'est pire que des lapins. Et il est bien vrai de dire que les polyèdres réguliers sont les plus fidèles et les plus attachés à leur maître ; sauf que l'Isocaèdre s'est révolté ce matin et que j'ai été forcé, voyez-vous bien, de lui flanquer une gifle sur chacune de ses faces. Et comme ça c'était compris. Et mon traité, voyez-vous bien, sur les moeurs des polyèdres qui s'avance : n'y a plus que vingt-cinq volumes à faire.
Alfred Jarry,
Ubu cocu,
Acte II
La méfiance de Jarry envers l'icosaèdre vient peut-être de ce que, dans le Timéé, Platon fait correspondre l'icosaèdre à l'eau. Jarry la tenait pourun poison "si dissolvant et corrosif (...) qu'une goutte versée dans un liquide pur, l'absinthe par exemple, le trouble".
p.79,
"Les 101 mots de la Pataphysique",
Collège de 'Pataphysique
Collection Que sais-je ?, PUF, 2016.